La vie c'est du coton
23h30. La chambre de Vélingara plongée dans la pénombre il y a quelque secondes encore est soudain illuminée par l’écran de mon smartphone. Je l’ai allumé pour connaître l’heure. 23h30. Je fais un rapide calcul, cela fait moins d’une heure que je me suis couché. C’est mauvais signe. Je referme les yeux et le clapet du smartphone, la lumière était trop violente. L’environnement est obscur, mais j’en perçois les informations essentielles. C’est calme, trop calme. Ce n’est donc pas le cri d’un cochon errant ou d’un âne en rut qui m’a réveillé.
Maintenant assis sur mon lit, je tends le bras vers la table de nuit pour saisir la bouteille d’eau. Je ne tâtonne plus comme à mes débuts ; à cette époque il m’arrivait parfois de renverser la bouteille en voulant m’en emparer sans la voir, elle se faufilait alors sous le lit ou se cachait derrière une armoire, et ça devenait une véritable galère pour la retrouver. L’instinct s’est développé, un lien s’est créé entre ma bouteille et moi : à tout moment, je sais précisément où elle est. C’est une question de survie. Alors que j’en dévisse le bouchon, un léger bruit de gaz se dégage, le même son caractéristique des bouteilles de soda que l’on ouvre. Je laisse échapper un « sacrebleu ! ». L’eau était encore fraîche quand je m’étais couché, il y a environ une heure. La bouteille gonflée à bloc et la présence de ce gaz indiquent que l’eau a chauffé. Je la bois quand même, sans plaisir, mais le frais est un luxe qui passe pour un caprice inutile dans les situations comme celles-ci.
Je m’empare de mon oreiller, je me lève puis saisis une serviette. Je bidouille un peu le ventilateur sans me faire trop d’illusions, son absence totale de réaction est sans appel, le courant est coupé. J’espère vaguement que c’est lui qui m’a réveillé, mais je sais bien que non, je suis maintenant capable de dormir plusieurs heures sans ventilateur, dernièrement j’ai même réussi à passer des nuits entières sans le bruit de l’air battu par ses pales. Je récupère le « sacrebleu ! » de tout à l’heure et je l’échange contre un « tout doux Frank ». Encore à moitié endormi, armé de mon oreiller et de ma serviette, je me dirige vers l’extérieur du logement ; je n’en connais pas très bien le chemin, d’habitude il est éclairé, mais cette fois je ne prends pas la peine de toucher les interrupteurs. Ce parcours est semé d’embuches ; je me prends les pieds dans des bords de table, mon genou se heurte à la porte entrouverte, ma tête m’informe violemment que ce n’est pas la porte de la sortie mais celle du placard que j’essayais de prendre, mon petit orteil hurle à la mort au contact du canapé. Mais c’est pas grave, moi, j’ai pas mal. L’important est de sortir, vite.
La fleur de coton est constituée de graines desquelles sortent des fibres. Après passage en usine, les graines sont séparées des fibres. Les fibres sont mises sous forme de balles et destinées à l'industrie textile, et les graines sont soit destinées à l'alimentation annimales, soit traitées pour servir de semance.
Accélerer la cadence... C'est bien difficile dans les conditions sénégalaise. La panne de courant de ce soir n'a rien d'un hasard. 23 heure, c'est le changement de quart, l'équipe de nuit vient prendre le relai pour faire tourner l'usine jusqu'à l'aurore. Chaque transition est marquée par une periode de maintenance durant laquelle les machines sont à l'arrêt. Une fois la maintenance terminée, l'usine est lancée à plein régime, le courant ne tient pas toujours le coup, et parfois, comme ce soir, c'est la panne généralisée.
Sources
Image de la fleur de coton: http://www.lafleurnouvelle.com