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17 Aug

Point de repère

Publié par Blacjac  - Catégories :  #Vie quotidienne

L’homme de couleur n’est pas forcément celui qu’on croit. Décrire un Sénégalais par le bleu de ses yeux ou par les reflets roux sur ses cheveux blonds coupés au bol relève encore de l’inédit. Les points de descriptions habituels en France n’ont plus lieu d’être au Sénégal. En conséquence, les quiproquos n’étaient pas rares à mes débuts. Noyé par le nombre de nouveaux visages à enregistrer et sans mes repères habituels de mémorisation, il m’est déjà arrivé de discuter de détails techniques d’un dossier avec un homme que je prenais pour mon supérieur hiérarchique mais qui était en fait un taximan tentant gentiment de comprendre ne serait-ce qu’un mot de ce que je débitais.

Point de repère
Point de repère
Point de repère
Point de repère

Le hic, c’est que cela se sait et se voit. Les vendeurs à la sauvette par exemple exploitent cette faiblesse occidentale à merveille. Prenons un nouvel arrivant lambda à l’œil non avertit, presque convaincu que tous les Sénégalais sont des jumeaux frisés aux yeux marrons sombres. Il risque fort de se faire alpaguer à la première occasion par un commerçant tentant sa chance à coups de « Mon ami ! Tu te souviens de moi ? ». Avant que la supercherie ne devienne évidente, notre occidental se sentira probablement gêné, légèrement honteux voire pire. Alors, non, il ne reconnaît pas cet homme qui se présente comme son ami. Son visage lui dit bien quelque chose, mais impossible d’y associer un nom. D’abord parce que depuis qu’il est arrivé, notre occidental n’a pas entendu le moindre  prénom qui sonne comme chez lui, et même s’il en avait retenu un, par automatisme il aurait mis Traoré dans la case « brin aux yeux noirs », comme Mawdo, comme Boubacar et Seydi. Le malheureux lambda se doute bien, finalement, qu’il n’a jamais croisé l’autre individu. Mais le mal est fait, il a pensé l’impensable, « tous les mêmes », il est raciste. C’est donc un bingo pour le commerçant qui profitera allègrement des remords de « son ami » tentant de se racheter une conscience avec ses billets de 10 000 FCFA (15€).

 

La stratégie du commerçant fonctionne somme toute assez peu, les occidentaux ne sont pas tous des grands naïfs qui croient à une rédemption monnayable et très peu apprécient le mensonge de l’inconnu qui se présente comme un ami. En réalité, l’occidental n’est pas raciste, il ne sait tout simplement pas encore voir.

 

Le danger était réel. Lors de ma première semaine, j’avais croisé mon directeur général trois fois dans la même journée sans être capable de le reconnaître. Conscient de ce handicap, de décidais d’apprendre au plus vite à reconnaître les visages. Ceux que je croisais tous les jours m’aidaient énormément, ils me fournissaient d’excellents points de repères pour établir des critères de comparaison. Force est de reconnaître que j’étais mauvais élève. Inlassablement, je me rattachais aux couleurs. Or la teinte de la peau ne sert finalement qu’à repérer l’origine ethnique de la personne en face, et encore les ethnies se mélangent de plus en plus donc le critère est peu fiable. Certaines femmes colorent leurs cheveux, qui ne sont en réalité pas les leurs mais des perruques qu’elles changent relativement fréquemment. Désespérés, je me rattachais aux vêtements, jusqu’au jour ou l’entreprise décida d’harmoniser les tenues de travail.

 

Point de repère
Point de repère

Au pied du mur et avec le temps, j’appris finalement à regarder et à voir, non pas les couleurs, mais les formes. L’épaisseur de la mâchoire, la délicatesse d’un nez, la hauteur des fronts, largeur des mentons, les pommettes… Et intérieurement, j’étais fier. Fier de pouvoir enfin savourer pleinement la beauté de ce monde, en apprécier la complexité et la multiplicité de ses détails.

Vint un jour d’août, je me rendais comme à mon habitude au restaurant pour partager le repas de midi avec les autres occidentaux de Tambacounda. En entrant, je repérais la table ou les trois toubabs m’attendaient. Parmi eux, un inconnu, je saluais les deux Français d’une poignée de main, et, notant qu’ils ne m'introduisaient pas auprès du nouvel arrivant, je lui serrai également la main en me présentant. La réponse fut cinglante : « Salut, moi c’est Jean ».

Jean.

Jean, comme le Français qui est arrivé depuis quatre mois et que je croise trois fois par semaine. On avait même passé une partie de la journée ensemble la veille. Jean, que j’avais mis dans la case blanc, barbu, cheveux longs. Mais qui s’était rasé et coupé les cheveux. Ce n'est pas du racisme, je dois simplement encore apprendre à voir.

 

Crédits

 

Une fois de plus, l'intégralité des photos de cet article sont issues de l'appareil photo de Jean, un grand merci!

 
 

 

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À propos

L'extraordinaire aventure d'un français VIE qui partit au Sénégal