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27 Oct

Azimut Cap-Skiring

Publié par Blacjac  - Catégories :  #Tourisme

La Tabaski, aussi connue dans le maghreb sous le nom d’Aid al-Kabir, est une fête religieuse qui a une importance toute particulière dans le monde musulman. A quelques jours de la fin du calendrier lunaire, la cérémonie dite du « grand sacrifice » commémore la soumission d’Abraham à Dieu par le sacrifice de son fils. La Tabaski est souvent comparée à Noël, pas tant pour le symbole religieux, mais plus pour l’ampleur des festivités et l’investissement qu’y mettent les familles. En une journée, le salaire des six derniers mois est englouti dans l'achat d'un mouton, des vêtements pour la famille et des nouveaux meubles et rideaux pour la maison. Beaucoup vont jusqu’à l’endettement pour l'occasion, ce qui a tendance à multiplier le nombre de mendiants à l’approche du jour fatidique.

 

Au Sénégal, la tradition veut que la date précise de l’événement soit fixée par une commission réunissant les imams de chaque confrérie. Cette commission observe le ciel les nuits sans lunes et à l’apparition du premier quartier le compte à rebours est lancé, plus que douze jours avant la fête. Comme toute commission qui se respecte, celle-ci aime beaucoup attirer les regards sur elle en créant le débat. En l’occurrence, savoir si oui ou non la lune est apparue. Ca ne manque pas, à chaque fois c’est le même chaos, la moitié des imams a vu la lune, l’autre non. Qui a dit que l’astronomie était une science exacte ? Et à chaque fois, les explications sont les mêmes. Les membres d’une confrérie ont vu la lune parce qu’elle était là, d’autres l’ont aperçue parce que les imams de la Mecque l’ont dit, ceux qui ne l’ont pas vue ont confondus astronomie et astrologie, prédisant un grand malheur au président de la république si les fêtes tombaient un vendredi. Le dernier mot revient d’ailleurs à l’autorité publique, c’est elle qui a le choix dans la date :poser un jour férié le jeudi conduirait immanquablement l’ensemble du pays à faire le pont ce qui reviendrait à deux jours de production perdus, ayant des conséquences directes sur le PIB. D’un autre côté, prier le vendredi porte malheur au président. L’opposition se met à voter pour le vendredi, alors que le gouvernement tente un jeudi… Au milieu de ce magnifique flou artistique, Sénégalais et toubabs sont livrés à eux-mêmes. De notre côté, le choix est vite fait : par esprit de conciliation et pour ne froisser personne, la tabaski ce sera le jeudi et le vendredi. Petit week-end de 4 jours dont Katie, Thomas, Jean et moi avons profité pour visiter la Casamance.

 

Architectures, variétés et cultures du paysage casamançais
Architectures, variétés et cultures du paysage casamançais
Architectures, variétés et cultures du paysage casamançais
Architectures, variétés et cultures du paysage casamançais

Architectures, variétés et cultures du paysage casamançais

Sous ses airs paradisiaques, la Casamance est en réalité une région dangereuse car politiquement instable. Pour ceux qui la connaissent, imaginez un pays peuplé par Katie et les membres de son ethnie. Vous comprendrez aisément pourquoi la Casamance figure en orange sur la carte de la diplomatie Française. Les Diolas sont en effet un peuple de fortes têtes de mules brulées avec une fierté à faire pâlir un pou ; ils aiment le combat et ne supportent pas la domination. Leur réputation n’est plus à faire, déjà sous la colonisation, les gouverneurs français avaient du fil à retordre. « Nous ne sommes pas maîtres en Casamance, nous y sommes seulement tolérés » déclarait le gouverneur de 1917 pour justifier l’impossible recrutement de Sénégalais de cette région, après 60 ans d’occupation. La décolonisation n’a rien arrangé, au contraire. Les Casamançais séparés du reste du pays par la Gambie caressent l’espoir de l’indépendance. 22 ans plus tard, constatant l’immobilisme de Dakar sur ce sujet, les indépendantistes organisent une marche pacifique vers la gouvernance de la région, y abaissent le drapeau sénégalais pour y hisser les couleurs de la Casamance. La réponse du gouvernement est bien entendu proportionnelle à l’insolence des rebelles, une répression dans le sang par les forces armées. Ainsi débuta un conflit qui se manifeste encore aujourd’hui par une instabilité politique accompagnée de quelques troubles de l’ordre. Les coupeurs de routes représentent la plus grande menace actuelle, ils ne sont pas bien différents des mendiants que l’on peut croiser dans tout le pays, à l’exception près que ceux-ci sont armés.

 

Katie, pour moitié originaire de la région nous avait trouvé les plans parfaits. Elle a fait jouer ses contacts pour nous permettre de profiter au mieux du séjour. Le couple franco-sénégalais qui nous a accueillis nous a fait une superbe démonstration de ce qu’est la terranga sénégalaise, nous offrant leur chambre et nous préparant d’excellents plats. Notre hôte André a même pris la casquette de guide touristique pour nous faire visiter les points d’intérêts de sa région, et il n’y en n’a pas qu’un peu.

 

Les plages iddyliques de la côte, de loin les plus belles de tout le Sénégal, dessinées de sable blanc, bordées de cocotier et relativement désertes ont fourni un excellent départ pour se reposer des dix heures de routes assez éprouvantes de la veille. L’après-midi était plus culturel, et là encore nous sommes bien tombés. Avant la rentrée des classes en octobre, les familles de Casamance se réunissent à l’occasion des rituels de passage à l’âge adulte. Au cours de ces cérémonies, les jeunes diolas s’affrontent aux épreuves de luttes et deviennent des guerriers. Pour les non-initiés tels que moi, les matches en eux-mêmes n’ont pas grand intérêt, il s’agit simplement de faire tomber son adversaire. En revanche, l’engouement  des Sénégalais pour ce sport est absolument incroyable ! Il faut voir le public hurler de joie et envahir le terrain lorsque son champion a gagné pour apprécier cette discipline. Après cela, les familles se réunissent dans le village hôte pour célébrer les guerriers en chantant et dansant au rythme des tam-tam. Et accessoirement en s’enivrant. Dans un des villages que nous avons pu visiter, il avait été jugé judicieux d’accompagner le son des tambours par des coups de feu. D’abord amusés par l’idée, nous avons vite été inquiétés par la chute des feuilles d’arbres au-dessus des tireurs ; elles indiquaient que les fusils n’étaient vraisemblablement pas chargés à blanc. Par prudence, Jean et moi avions décidé de garder un œil sur les possesseurs des armes. Ils étaient trois, aucun ne semblait prêt à tirer quand une détonation assourdissante, plus proche du coup de canon que du fusil retentit. D’instinct, nous nous sommes baissés, déclenchant l’hilarité des quelques personnes qui avaient vu notre réflexe. Se voulant rassurants ils vinrent vers nous pour expliquer que les armes n’étaient pas chargées, et que non il n’y avait ni canon, ni mortier, uniquement des gros fusil. En un regard, Jean et moi fûmes d’accord : l’odeur de l’alcool et de la poudre à canon ne font pas bon ménage, nous sommes partis dans la foulée.

Azimut Cap-Skiring
Azimut Cap-Skiring
Azimut Cap-Skiring
Azimut Cap-Skiring
Azimut Cap-Skiring

(...) les Diolas viennent de nous prouver que leur obstination incoercible est aussi difficile à vaincre qu'une rébellion active [...] Nous sommes malheureusement à peu près désarmés devant ce genre de résistance. On n'admettrait pas en effet l'emploi d'armes contre une population butée qui ne répond à aucune de nos mises en demeure d'obéir mais qui se garderait bien de faire le moindre geste ou de se livrer à une démonstration menaçante. Ce n'est pas la peur des Blancs qui les fait agir de la sorte comme ils le disent mais la volonté bien arrêtée de ne pas nous obéir. Et cela dure depuis que nous occupons le pays, c'est-à-dire depuis 50 ou 60 ans environ.

Joost van Vollenhoven, gouverneur général de Casamance en 1917

Cap-Skirring, plein sud ouest du Sénégal

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À propos

L'extraordinaire aventure d'un français VIE qui partit au Sénégal